Est-il possible de rester neutre en récoltant des témoignages en pleine guerre ? Maurine Mercier, correspondante de la RTS en Ukraine, est l’invitée d’un café scientifique à l’Université de Neuchâtel mercredi soir pour parler des émois dans le journalisme. Si, pour elle, la neutralité est un devoir fondamental, elle n’est pas incompatible avec les émotions, qui font partie de son quotidien
La pratique du journalisme implique une récolte et une restitution d’information qui doivent, traditionnellement, respecter une forme de neutralité. Mais est-il vraiment possible et souhaitable de rester totalement objectif dans n’importe quelle situation, par exemple lorsque l’on est témoin des horreurs de la guerre ? C’est l’une des questions qui animera mercredi un café scientifique à l’Université de Neuchâtel, en présence notamment de la correspondante en Ukraine pour la RTS, Maurine Mercier.
Pour la journaliste, dont le travail a été récompensé par plusieurs prix, la neutralité est un devoir fondamental du métier, d’autant plus en contexte de guerre. « Ce n’est pas forcément un exercice facile, mais ce n’est pas notre rôle de prendre parti », affirme Maurine Mercier. Mais, pour elle, rester neutre ne veut pas dire ne ressentir et ne transmettre aucune émotion dans ses reportages. « Tout est émotion, si on est très sincère, et surtout en contexte de guerre. On voit des gens souffrir, on voit des gens pleurer, on voit des gens rire aussi et il ne faut pas le cacher », déclare la journaliste.
Maurine Mercier : « Il y a des décharges d’émotions quand on est dans ces contextes-là. »
Des émotions au service de l’information
Lorsqu'on s’adresse à un public, il est important, pour Maurine Mercier, de faire attention à ne pas tomber dans le catastrophisme. La journaliste explique que certains témoignages sont « effarants de violence », mais que cela n’est pas une raison pour les déverser « gratuitement » sur les auditeurs. En effet, elle insiste sur l’importance d’amener, dans les reportages, des éléments qui permettent aussi une meilleure compréhension de certaines situations. « Sinon, on angoisse tout le monde en déversant aux petits matins des reportages absolument effroyables. »
Travailler avec ses émotions
Maurine Mercier affirme qu’il est impossible de nier que les émotions font partie de la vie : « Moi-même, je suis quelqu’un de très émotive. Je me marre et je pleure très facilement. Je n’ai pas de pudeur par rapport à ça », confie la reporter de guerre. Impossible donc, pour elle, de faire abstraction que les conflits armés sont aussi des êtres humains qui souffrent : « Si on piétine les émotions, on piétine tout », assène la correspondante.
Mais comment gérer cela en tant qu’être humain ? Après avoir couvert les guerres en Lybie et deux ans de guerre en Ukraine, la journaliste a forcément développé une boîte à outil pour se préserver. « Moi ma méthode c’est de rester dans le pays », explique-t-elle. Après avoir donné le temps aux gens de pleurer et, parfois, de pleurer avec eux, Maurine Mercier trouve important de se donner le temps de rire ensemble : « Je vais toujours garder contact avec les personnes que je rencontre. Ça m’aide beaucoup, car je vois des gens dans des moments tragiques, mais je les vois ensuite se relever et ça me permet de digérer mes émotions. »
L'humain au centre
Ce qui intéresse la journaliste, ce sont les émotions des gens, pas les siennes. « Peut-être que je me planque un peu, mais pour moi c’est un choix de vie, donc je n’ai pas envie de prendre la place des gens. Ce sont les gens que j’interroge le cœur du sujet », insiste-t-elle.
Maurine Mercier dit ne pas chercher à provoquer les émotions à tout prix, mais quand elles sont là, elle les accueille. « Beaucoup de gens me disent, après les interviews, que c’était une introspection et que ça leur a fait du bien. On est journaliste car on a envie d’éclairer à notre toute petite échelle les auditeurs sur les contextes qu’on couvre, mais j’aime l’idée d’avoir fait du bien à la personne qui témoigne. Je ne suis pas psychologue, mais je suis humaine et ça me fait plaisir de voir des grands sourires juste après une interview de deux heures qui est passée par toutes les émotions du monde », confie la reporter.
Maurine Mercier : « Les émotions, j’en ai pas peur »
Un devoir déontologique
Derrière ces sujets fortement émotionnels se cache aussi la responsabilité des journalistes. « Encore une fois, on est pas psychologue, mais il faut prendre en compte que ces gens-là sont souvent traumatisés », rappelle Maurine Mercier.
Dans l’un de ses sujets récompensés, la journaliste a, par exemple, rencontré une mère ukrainienne violée à répétition par des soldats russes à Boutcha. « A la suite de ce témoignage, j’ai laissé dix jours à cette femme pour réfléchir. Je voulais qu’elle soit certaine de consentir à la publication de son témoignage. » La journaliste fait aussi attention à faire preuve d’une certaine pudeur, un exercice rendu possible, selon elle, par le format de la radio. Elle explique ne pas toujours mettre les moments de pleurs à l’antenne, par respect pour les personnes qui témoignent. « Mais les émotions c’est magnifique aussi. Une voix qui se brise, ça dit tout. »
Des rires entre les bombes
De retour en Suisse, il est souvent rapporté à Maurine Mercier que les horreurs de la guerre sont trop difficiles à entendre. Ce n’est pas du tout ce que cherche la journaliste au travers de ses reportages. « Les Ukrainiens seraient horrifiés de déprimer les auditeurs suisses ! », s’exclame la correspondante. « Ils auraient plutôt envie que leurs témoignages permettent de nous rappeler que la vie ça se bouffe à pleine dents. » C’est ce que font les Ukrainiens dès qu’ils le peuvent, selon elle. « Il y a énormément de vie là-bas. J’ai partagé des fous rires avec des gens merveilleux. C’est pas que du noir les guerres. C’est horrible, mais les gens en font souvent quelque chose de sublime », assure la journaliste.
Lors du café scientifique de mercredi soir, Maurine Mercier sera entourée de Valérie Manasterski, auteure d’une thèse sur les émotions dans le journalisme, Olivier Massin, professeur de philosophie et Maroussia Nicolet-dit-Félix, doctorante en sciences de la communication et de la cognition. /cde