En Suisse, 72% des prisonniers sont des personnes étrangères. Luca Gnaedinger explique ce pourcentage par des questions de criminalisation et de discrimination. Sa thèse de doctorat remet ainsi en cause l’utilisation de ce chiffre pour demander une limitation des demandeurs d’asile.
En 40 ans, le ratio entre personnes suisses et étrangères dans les prisons s’est complètement inversé. En 1984, plus de 70% des détenus étaient suisses, aujourd’hui, ils ne sont plus que 30% environ. De leur côté, les personnes étrangères représentent 72% de la population carcérale dans le pays.
Ces chiffres sont régulièrement brandis par l’extrême droite pour demander davantage de limitation dans les demandes d’asile. Ils ont récemment été utilisés par l’UDC lors du lancement de leur nouvelle initiative pour instaurer des contrôles systématiques aux frontières. Même le président américain, Donald Trump, a mobilisé ces pourcentages dans un discours devant l’ONU fin septembre.
Toutefois, pour le doctorant Luca Gnaedinger, qui conduit une thèse en géographie politique à l’Université de Neuchâtel (UniNE) depuis 2021, ces chiffres ne s’expliquent pas par le nombre de personnes étrangères ou par une augmentation de la criminalité. La thèse du chercheur démontre, au contraire, que ces chiffres sont le résultat de discriminations policières et judiciaires plus ou moins directes.
Les explications de Cécile Détraz :
En se basant sur des données statistiques et des entretiens avec d’anciens détenus, le jeune chercheur explique, par exemple, que la part importante de personnes étrangères derrière les barreaux en Suisse ne s’explique pas par le fait qu’ils seraient nombreux dans le pays. « C’est une explication qui peut être intuitive, car c’est une réalité qu’en Suisse on a un droit de la nationalité qui fait qu’une grande part de la population reste étrangère. On a en Suisse des étrangers de deuxième ou troisième génération, chose qui n’existe pas dans la plupart des pays voisins », conçoit Luca Gnaedinger. Toutefois, les personnes les plus présentes dans les prisons sont des personnes sans-papiers, un groupe qui ne représente que 2% de la population suisse et qui n’a pas subi de fluctuation majeure en matière de pourcentage ces dernières années.
Luca Gnaedinger : « Ce n’est pas n’importe quels étrangers qui sont surreprésentés en prison. »
Ces constats amènent le doctorant à considérer des pratiques discriminantes, comme le profilage racial lors de contrôle de police, comme des pistes d’explications plausibles de cette surreprésentation. Le système judiciaire induit également des discriminations indirectes, selon le chercheur : « une personne sans permis de séjour sera plus facilement considérée par les tribunaux comme une personne présentant un risque de fuite ». Luca Gnaedinger explique que cela amène les personnes étrangères à se retrouver plus facilement en détention préventive ou à ne pas pouvoir bénéficier d’alternatives à l’incarcération comme les travaux d’intérêt général.
Vient s’ajouter à tout cela ce que Luca Gnaedinger appelle la criminalisation formelle de l’immigration, soit le fait que venir en Suisse sans autorisation est un crime passible d’un à trois ans de prison.
« La Suisse se distingue de ses voisins européens. »
Le travail du chercheur l’amène à formuler quelques pistes de solution face à cette situation. Tout d’abord, Luca Gnaedinger appelle à une décriminalisation de l’immigration. Le doctorant avance d’autres idées, comme celles de remettre en question la conversion de peine pécuniaire en peine privative de liberté. En effet, Luca Gnaedinger rappelle que les jours-amendes sont impossibles à payer pour des personnes en situation d’extrême précarité. /cde










