Denis Oswald s'est confié à Keystone-ATS à quelques jours de ce qui aurait dû être l'ouverture des JO de Tokyo.
L'avocat neuchâtelois de 73 ans, qui demeure l'un des membres les plus influents du CIO, évoque notamment le report de ces joutes.
- Monsieur Oswald, vous étiez président de la Commission de coordination pour les JO de 2004 et de 2012. Etes-vous content de ne pas occuper cette fonction pour Tokyo 2020?
'La tâche est évidemment énorme. Il s'agit de relancer toute la machine. Les contrats doivent être renégociés. C'est un travail herculéen.'
- On imagine qu'il vaut mieux que les JO de Tokyo aient dû être reportés, plutôt qu'Athènes en 2004 ou Rio en 2016...?
'Les Asiatiques ont cette fierté de vouloir montrer ce qu'ils sont capables d'accomplir. Ils veulent montrer au monde qu'ils sont un pays fort, capable de faire face aux coups durs de la nature que sont un tsunami (réd: celui de Fukushima en 2011) ou un virus.'
- Vu de l'extérieur, on a l'impression qu'il y avait eu plus de problèmes à régler avant les Jeux de Rio ou d'Athènes?
'C'est certain. A Athènes, tout avait été fait à la dernière minute. On avait dû se battre pour tout. Les JO avaient été une réussite au final, mais il avait fallu abattre un travail énorme pour parvenir à ce résultat. A Rio, c'était déjà assez limite. De nombreuses choses n'étaient pas conformes à ce qu'elles auraient dû être. Ce que les Japonais sont en train de faire, les Brésiliens auraient eu beaucoup de peine à le réaliser.'
- Et à Athènes, quasiment toutes les installations sportives des JO n'existent plus...
'C'est triste. Ils ont vu trop grand. Ils auraient dû être plus modestes, se contenter de ce dont ils avaient véritablement besoin. A Londres, ils ont utilisé de nombreuses infrastructures temporaires, et n'ont construit que ce qui pouvait servir après les JO. Nous avions dit aux organisateurs grecs qu'ils voyaient trop grand, trop luxueux. Mais ils nous avaient rétorqué qu'ils étaient chez eux, qu'ils décidaient eux-mêmes du montant des investissements. Ils en étaient très fiers. Mais la crise financière est arrivée, et il n'y avait soudain plus d'argent pour entretenir les infrastructures. Je veux cependant tout de même souligner que de nombreux investissements faits dans les secteurs non-sportifs ont porté leurs fruits en Grèce, notamment dans la télécommunication ou les moyens de transport comme le tram ou le métro. Lorsque l'on parle des coûts excessifs des Jeux olympiques, on inclut souvent les investissements faits dans des infrastructures qui sont utiles sur le long terme et de toute manière nécessaires pour les villes.'
- Etes-vous optimiste quant au bon déroulement des JO de Tokyo en 2021?
(profonde respiration) 'Il y a tellement d'incertitudes. On peut être relativement optimiste. Mais il s'agit de faire preuve de beaucoup de prudence et d'humilité tant que nous n'avons pas vaincu ce virus. Nous espérons que la situation sanitaire sera suffisamment bonne pour que ces Jeux puissent se dérouler. En ce qui concerne les infrastructures, il devrait être possible d'avoir de beaux Jeux. Mais la menace du virus subsiste.'
- Quelles conséquences une annulation pure et simple de ces JO aurait pour le CIO?
'Une annulation signifierait tout d'abord que de nombreux athlètes perdraient une chance peut-être unique de participer à des Jeux olympiques. Nous aurions huit ans sans JO. Certains seraient trop vieux, ou n'auraient plus la motivation ou les moyens de s'entraîner pendant trois années supplémentaires. Pour le CIO, cela signifierait renégocier les contrats de télévision et indemniser les sponsors. Ce n'est pas ma spécialité, mais cela ne serait bien sûr pas sans conséquence financière. Mais le point le plus important, c'est certainement que toute une génération d'athlètes n'aurait pas l'opportunité de vivre le plus grand moment d'une carrière.'
- Vous étiez candidat à la présidence du CIO en 2013. Vous devez être soulagé de ne pas avoir été élu...
(rires) 'Oui, le président vit effectivement des moments compliqués avec la pandémie de Covid-19, le report des JO de Tokyo ou les scandales de dopage. Je me suis effectivement demandé: +qu'aurais-tu fait maintenant?+ Il n'a certainement pas la vie facile.'
- Gardez-vous l'espoir que la Suisse puisse à nouveau accueillir des Jeux olympiques ?
'Je l'espère toujours. Nous avons les infrastructures, nous avons tout ce dont nous avons besoin. Regardez les Jeux olympiques de la Jeunesse organisés en janvier. Le budget a été respecté, l'organisation était bonne et il y a eu un réel enthousiasme. Si l'on analyse la candidature de Sion 2026, pratiquement rien de nouveau n'aurait dû être construit. C'est la nouvelle philosophie du CIO. Malheureusement, il n'y a pas encore eu de Jeux pour la montrer. Les Jeux d'été de Paris 2024 seront les premiers à mettre en œuvre cette philosophie. C'est dommage que les électeurs (réd: valaisans) n'aient pas compris cela.'
/ATS