Trois membres d’une même famille sont accusés d’avoir joué les caissiers dans une commerce d’héroïne entre la Suisse et l’Albanie. Le Ministère public estime le nombre de kilos écoulés à 500. Leurs avocats réfutent tout ou en partie les faits
Caissiers d’un vaste trafic d’héroïne entre la Suisse et l’Albanie ou prévenus embrigadés malgré eux dans une organisation frauduleuse ? C’est à cette question que doit répondre le Tribunal criminel à La Chaux-de-Fonds. Trois membres d’une même famille, le père, la mère et le fils ont comparu ce mercredi pour infraction grave à la loi sur les stupéfiants et blanchiment d’argent. Le couple aurait agi entre janvier 2015 et mars 2023, date de leur arrestation. Le fils aurait intégré le réseau quatre ans plus tard. Il a été arrêté en même temps. Selon le Ministère public, ils étaient chargés de récolter l’argent de plusieurs filières de trafic de drogue entre la région neuchâteloise, principalement, et l’Albanie. Le parquet estime à 500 kilos la quantité d’héroïne écoulée. Il a requis des peines de douze et dix ans de prison pour le père et la mère et de cinq ans pour les fils, avec expulsion du territoire suisse des trois prévenus. Le père reconnaît une partie de faits. La mère et le fils affirment qu’ils n’étaient pas au courant de l’activité illégale du patriarche.
Des caissiers pour le Ministère public
Lors de son réquisitoire, le Ministère public a minutieusement décrit le mode opératoire des prévenus. Ils étaient informés où et à qui ils devaient aller récupérer l’argent, parfois plusieurs fois par jour. « On juge ici les caissiers. C’est inédit dans le canton de Neuchâtel. Ils récoltaient de l’argent pour l’acheminer en Albanie pour les commanditaires. » Et même s’ils n’ont pas revendu les produits stupéfiants « ils avaient un rôle indispensable. » Pour le Parquet, les prévenus ne pouvaient pas ignorer que leurs agissements étaient illégaux. La procureure est aussi revenue sur les livres de compte tenus par la mère « qui comprenait de nombreux noms et des sommes d’argent en regard ». Et ces personnes étaient connues des services de police pour des affaires de stupéfiant. Lors de l'arrestation de la famille, la police a aussi trouvé, caché au domicile du père et à celui de la mère, 127'000 francs cachés en plusieurs endroits. Le père affirme que cette somme provient de son commerce de vente de voitures et d’une somme qu’il a touchée de la SUVA. Déclarations qui n’ont pas convaincu le Ministère public.
Les avocats remettent en cause l’acte d’accusation
Le père a expliqué durant l’audience qu’il s’était fait embarquer malgré lui dans ce trafic. Il pensait que l’argent venait de son commerce de voitures entre la Suisse et l’Albanie. « Ce n’est qu’à fin 2021, début 2022 que j’ai commencé à avoir des doutes ». Il aurait voulu, à ce moment-là, cesser son activité, mais aurait été menacé « par les gens en Albanie ». Son avocate a remis en cause l’acte d’accusation. D’après elle, aucun acte illicite ne peut être imputé à son client avant 2019, et encore. Selon elle, il était impliqué à son insu dans ce trafic jusqu’à fin 2021, début 2022. C’est à ce moment-là qu’il a commencé à avoir des doutes. Elle demande que la peine du père de famille soit compatible avec le sursis, soit 3 ans au plus. L’avocate a aussi contesté « les calculs faits par le Ministère public pour arriver à 500 kilos d’héroïne. » Selon elle, il s’agit plutôt de 49 kilos. Elle s’oppose également à l’expulsion de son client en raison de sa mauvaise santé et de son âge avancé, près de 71 ans.
Acquittements demandés pour la mère et le fils
Les avocats du fils et de la mère ont aussi attaqué l’acte d’accusation. La mandataire du jeune homme a expliqué que son client n’avait aucune idée qu’il trempait dans des affaires louches. « Il a vu son père aller récupérer de l’argent pour son commerce d’import-export de voitures depuis son plus jeune âge. » Et d’ajouter qu’il « ne savait pas et ne pouvait pas savoir qu’il était au service de barons de la drogue en Albanie. » Elle relève qu’il a été élevé dans une famille où on obéit à ses parents sans poser de questions. « Il a été instrumentalisé par son père ». Quant aux livres de comptes, « le Ministère public leur donne trop de crédit. Mon client ne savait même pas ce qu’ils contenaient ». L’avocate demande que toutes les charges retenues contre son client soient abandonnées, ainsi que l’expulsion du territoire et une indemnité de 62'800 francs pour détention injustifiée.
L’avocat de la mère est lui aussi revenu point par point sur l’acte d’accusation. Et des 500 kilos de cocaïne avancés par le Ministère public, il arrive à une quantité d’un peu plus de six kilos. Et là aussi, il relève que sa cliente n’était pas au courant des actes délictueux. « Pour la condamner, il faudrait une intention de commettre l’infraction et il manque cet élément d’intention. Il aurait fallu que ma cliente sache ce qu’elle faisait pour la condamner. » Il est aussi revenu sur les fameux livres de comptes. Sa cliente n’ayant jamais travaillé et faisant confiance à son mari, elle pouvait effectivement penser que cet argent provenait de la vente de voitures ». Il demande, comme sa consœur, d’acquitter la mère de famille et de renoncer à son expulsion.
Le verdict sera rendu jeudi à 11h30. /sma