Sous le même ciel bleu de Brasilia, il existe un fossé idéologique entre les manifestants attendant avec anxiété le résultat du vote historique, dimanche soir, sur la destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff. Ce fossé est aussi matériel.
Longue d'un kilomètre, haute de deux mètres, une imposante barrière a été érigée face au Congrès des députés par les autorités pour éviter les échauffourées entre les pro et les anti-destitution. Mais la mobilisation en ce jour historique était moins forte que prévu.
En début de soirée, 40'000 manifestants 'pro-destitution' étaient massés d'un côté de la barrière et 18'000 'anti' de l'autre, selon la police. Plus de 3000 agents avaient été mobilisés pour les 300'000 manifestants attendus. Plusieurs écrans géants retransmettaient les débats des députés en séance plénière au Congrès.
Esprits exaltés
A Brasilia, les esprits sont exaltés. Des groupes aux couleurs et drapeaux différents, selon les camps, soufflent dans des trompettes. Ils crient des mots d'ordre que personne n'écoute, dans une ambiance qui rappelle une finale de championnat de foot.
A gauche, avec l'emblématique Congrès et ses deux coupoles, une oeuvre d'Oscar Niemeyer, les partisans du gouvernement vêtus de rouge agitent des drapeaux du Parti des travailleurs et des centrales syndicales. 'Ce n'est pas une bataille facile', reconnaît Ednilson Sousa, un dirigeant du syndicat de la construction civile de Bahia (nord-est).
Défendre
'Mais nous sommes ici pour défendre ce que nous avons conquis dans les urnes en 2014, avec 54 millions de voix, pour éviter un coup d'Etat contre la démocratie', ajoute-t-il avec conviction.
La professeur et militante communiste Vania Albuquerque est venue du Pernambouc, une des régions qui a le plus progressé depuis que l'ancien président Lula et prédécesseur de Rousseff est arrivé au pouvoir en 2003. 'Je suis venue en avion et non plus en car et je dors dans un hôtel. Tout ça, nous ne voulons pas le perdre', dit-elle.
Depuis des mois, les soutiens de la présidente répètent que les accusations de l'opposition - un maquillage des comptes pour camoufler l'ampleur des déficits et faciliter sa réélection - ne constituent pas un motif de destitution. Ils crient au 'putsch' institutionnel.
Ambiance festive
De l'autre côté du 'mur de Berlin', comme il a été baptisé par la population, l'ambiance est plus festive. Tous tablent sur le départ de la chef de l'Etat, comme l'anticipe la presse. 'Dehors Dilma!, dehors PT!', sont les phrases les plus entendues.
'C'est ce que le gouvernement a toujours fait : monter les riches contre les pauvres, les noirs contre les blancs, les patrons contre les employés', critique Ilson Jose Redivo, grand cultivateur de soja de 60 ans, venu de l'Etat du Mato Grosso (centre-ouest) pour brandir une pancarte 'Impeachment, maintenant'.
Responsables
Les partisans d'une destitution jugent Dilma Rousseff et Lula responsables de la grave crise économique dans leur pays et du méga-scandale de corruption autour du géant pétrolier Petrobras. Ce ping-pong d'arguments a eu raison de quelques amitiés.
'J'ai déjà perdu beaucoup d'amis à cause de mon opinion sur Dilma', raconte Carlos Conrado, éditeur de 30 ans portant le drapeau brésilien sur les épaules. Il s'exprime depuis un campement pro-destitution d'environ 200 tentes, monté près d'un parc d'attractions.
Nettoyage complet
Si les deux camps s'accordent sur une chose, c'est sur l'ampleur de la corruption rongeant l'ensemble de la classe politique brésilienne.
Chez les pro-destitution, certains sont réticents à l'idée que le vice-président Michel Temer, ancien allié de Rousseff lui succède. Il est soupçonné d'être impliqué dans des contrats illégaux d'éthanol.
Et ils tiquent aussi face au président du Congrès des députés, Eduardo Cunha, grand architecte de la procédure de destitution mais lui-même inculpé pour avoir perçu des millions de dollars en pots-de-vin dans le cadre du scandale Petrobras.
'Il faut un nettoyage complet' du système, plaide Zaqueu Oliveira Mota, agent de sécurité de 33 ans originaire de l'Etat de Sao Paulo. Des rassemblements des deux camps se déroulaient ainsi dans plus de soixante agglomérations, mais la police se refusait à tout décompte du nombre de manifestants.
/ATS