Le président libanais Michel Aoun s'est dit jeudi prêt à discuter avec des représentants des manifestants. Il a brisé le silence au huitième jour d'une contestation populaire inédite lors d'un discours télévisé à la nation.
'Je suis prêt à rencontrer vos représentants (...) pour entendre vos demandes', a affirmé M. Aoun, tout en assurant que ce n'était pas à la rue de faire chuter le régime en place.
Depuis le début de la contestation, il s'agit de la première intervention télévisée du chef de l'Etat, dont le mutisme ces derniers jours a été largement décrié par les manifestants. Le chef de l'Etat n'a annoncé aucune nouvelle mesure concrète, se contentant d'apporter son appui au plan de réformes économiques annoncé lundi par le Premier ministre Saad Hariri au termes de 72 heures de concertations accélérées.
'La feuille de route approuvée sera le premier pas pour sauver le Liban et éloigner le spectre d'un effondrement économique et financier. Cela a été votre premier exploit, car vous avez aidé à éliminer les obstacles et à le faire adopter en un temps record', a dit le chef de l'Etat à l'adresse des manifestants.
Besoin de modernisation
M. Hariri avait annoncé l'adoption par tous les partis politiques d'un plan de réformes et du budget pour l'année 2020, prévoyant une baisse substantielle du déficit public sans aucune nouvelle taxe.
'J'ai entendu beaucoup d'appels à la chute du régime. Mais le régime, chers jeunes, ne peut être changé sur les places publiques', a encore souligné M. Aoun.
'Notre régime a besoin d'être modernisé parce qu'il est paralysé depuis des années et incapable de s'auto-régénérer, mais cela ne peut se faire qu'à travers les institutions constitutionnelles', selon lui.
Deuxième semaine
Le Liban est entré jeudi dans sa deuxième semaine d'un soulèvement populaire sans précédent contre la classe politique, marqué par des rassemblements géants et festifs dans plusieurs villes du pays. Des tentes ont parfois été installées au beau milieu des voies pour bien signifier aux forces de sécurité stationnées juste à côté qu'il n'était pas question de bouger.
'Nous sommes là pour bloquer en partie le pays. Certains croient que nous jouons, mais ils ont tort. On réclame des droits fondamentaux: l'eau, la nourriture, l'électricité, les soins, l'éducation', assurait un homme d'une trentaine d'années assis sur la chaussée, un keffieh rouge et blanc sur les épaules.
'Je ne sais pas où l'on va'
Rencontré devant le siège de la Banque centrale du Liban, où des dizaines de jeunes se relaient chaque jour en criant 'Révolution!', Mohammad, un architecte de 27 ans, explique avec un grand sourire: 'D'habitude, au Liban, on manifeste le dimanche et on retourne travailler le lundi, mais cette fois c'est vraiment différent!'.
Il commence pourtant à s'inquiéter sur l'issue du bras de fer entre la rue et le pouvoir. 'S'il n'y a pas de compromis d'ici deux ou trois jours, alors je ne sais vraiment pas où l'on va', dit-il.
Banques, écoles et universités sont fermées jusqu'à nouvel ordre et certains médecins commencent à se plaindre sur les réseaux sociaux ne pas pouvoir se rendre à leur travail. La crainte d'une pénurie de billets aux distributeurs automatiques commence aussi à monter.
La colère, qui a pris les autorités totalement par surprise, avait explosé le 17 octobre après l'annonce d'une nouvelle taxe sur les appels via la messagerie WhatsApp.
Les yeux tournés vers l'armée
L'armée a fait son apparition en masse mercredi dans les rues, pour la première fois, et les images des scènes de fraternisation entre la foule et les soldats s'étalaient jeudi dans les journaux.
Mais, malgré une ambiance restée largement bon enfant, de premiers incidents ont été signalés dans certaines villes de province. A Nabatiyé, dans le sud à majorité chiite, une quinzaine de manifestants ont été blessés lors de heurts avec la police. D'autres brefs affrontements ont eu lieu à Bint Jbeil, dans la même région.
Dans le Mont-Liban, une région à majorité chrétienne à l'est de la capitale, des manifestants ont affirmé avoir été attaqués par des militants armés du parti du Courant patriotique libre (CPL) fondé par le président Michel Aoun. Selon leur témoignage, l'armée a dû intervenir pour les protéger.
/ATS