La pomme que je mange est-elle génétiquement modifiée? Les 'ciseaux génétiques' sont-ils vraiment précis? La Fondation d'évaluation des choix technologiques TA-SWISS s'est penchée sur les différents aspects de l'édition génomique et formule des recommandations.
Les méthodes dites d’édition génomique permettent des interventions sur l’ADN plus ciblées et plus précises qu’avant. Ces nouvelles technologies sont largement utilisées en recherche fondamentale, mais elles sont aussi susceptibles d’être de plus en plus courantes dans de nombreux autres domaines, a indiqué mardi TA-SWISS devant la presse à Berne.
Le débat a été relancé récemment, avec la possibilité de manipulations sur la lignée germinale humaine. Un scientifique chinois qui a annoncé fin 2018 avoir fait naître deux fillettes immunisées contre le sida en utilisant la méthode Crispr-Cas9 a suscité un tollé international.
Il semble en effet que chez l'une des jumelles, la correction n'ait pas réussi dans toutes les cellules. Or la neutralisation du gène en question pourrait raccourcir son espérance de vie. Et de surcroît, ces manipulations peuvent être transmises à la descendance.
'Courant normal'
En Suisse, de telles pratiques sont interdites par la Constitution fédérale, a rappelé Moritz Leuenberger, président du comité directeur de TA-SWISS. L'ancien conseiller fédéral a souligné l'importance d'avoir un débat démocratique, avant que ce genre de choses ne soit considéré comme 'courant normal' et finisse par être adopté pour la simple raison que cela se pratique dans d'autres pays.
TA-SWISS a réalisé une étude interdisciplinaire portant sur cinq domaines d’application. En médecine humaine, l’édition génomique pourrait être utilisée dans le but de guérir des maladies, prévenir la transmission de maladies héréditaires aux enfants ou utiliser des organes animaux chez l’humain (xénotransplantation).
Dans l’élevage des animaux et la sélection végétale, l’édition génomique sert à améliorer la qualité des aliments, augmenter le rendement et conférer des résistances aux maladies. Quant aux applications de forçage génétique, elles pourraient même modifier des organismes dans des écosystèmes entiers, par exemple pour empêcher la propagation de maladies comme la malaria.
Obstacles techniques et incertitudes
Malgré les progrès par rapport aux méthodes précédentes, il existe des incertitudes dans l’utilisation de l’édition génomique. Il se peut que, même si l’ADN est coupé au bon endroit, la réparation de la césure ne soit pas parfaite; il se peut aussi que l’ADN soit coupé au mauvais endroit.
À ce stade, il est encore difficile d’évaluer les conséquences de ces effets dits sur cible ou hors-cible. Un autre facteur d’incertitude est le transport des ciseaux génétiques: il faut s’assurer qu’ils atteignent effectivement toutes les cellules ciblées et pas seulement une partie d’entre elles, note TA-SWISS.
Son comité directeur formule par conséquent trois recommandations générales: un débat social ouvert et constructif, une exploration systématique des effets hors et sur cible en fonction des domaines d’application, ainsi que des normes et directives adéquates à élaborer par les autorités de surveillance de la Confédération.
Aux États-Unis et au Canada, on cultive déjà des plantes modifiées par édition génomique, et elles n'entrent pas dans la catégorie des OGM. La Cour de justice de l'Union européenne a pris une décision inverse. Or ces modifications peuvent difficilement être détectées en laboratoire, voire pas du tout.
La Suisse pourrait s'aligner sur la position européenne ou se montrer plus libérale, note TA-SWISS. En tout état de cause, la faible acceptation des denrées alimentaires génétiquement modifiées dans l'opinion publique appelle à développer des méthodes permettant de détecter si des procédés d’édition génomique ont été utilisés, selon le principe de traçabilité requis pour l’étiquetage.
Thérapies géniques
Les thérapies géniques personnalisées coûtent cher. Celles qui ont déjà été approuvées en sont l’illustration. Néanmoins, une thérapie unique et coûteuse peut revenir moins cher qu’un traitement à vie des symptômes de la maladie.
Pour TA-SWISS, le financement de telles thérapies doit rapidement faire l’objet d’un large débat et être résolu sur le plan politique, car il faut compter avec de nombreuses nouvelles applications. A cet égard, il y aurait lieu d'envisager de nouveaux modèles de remboursement, par exemple un paiement seulement si la thérapie est efficace, selon la fondation.
Dans plusieurs domaines d’application, on constate un rejet massif par l’opinion publique. Le comité directeur de TA-SWISS estime donc que la Suisse devrait faire valoir activement, aussi au niveau international, ses objections à l’égard des interventions sur la lignée germinale humaine, par exemple.
De même, des recherches sont encore nécessaires sur les aspects éthiques et les conséquences sociales de la xénotransplantation, qui revient à créer des hybrides. Enfin, des études scientifiques dans des systèmes fermés doivent déterminer si le forçage génétique peut donner lieu en Suisse à des essais en plein champ et à des applications.
L’étude examine également l’impact que l’édition génomique pourrait avoir sur l’économie suisse. Peu d'entreprises contactées ont répondu au questionnaire en ligne des chercheurs, et la plupart restent prudentes. Une condition préalable à l’utilisation ou non de ces méthodes est leur acceptation par les consommateurs, conclut TA-SWISS.
/ATS