« Une socialité heureuse, c'était ça la révolution » (Michel Contat)

'Une victoire culturelle sur un échec politique' se souvient l'intellectuel sartrien et écrivain ...
« Une socialité heureuse, c'était ça la révolution » (Michel Contat)

Photo: librairie_Mollat

'Une victoire culturelle sur un échec politique' se souvient l'intellectuel sartrien et écrivain français d'origine vaudoise Michel Contat en évoquant Mai 68. 'On vit aujourd'hui encore dans la lumière et la chaleur de Mai 68', estime-t-il.

Ce grand spécialiste de Jean-Paul Sartre, collaborateur personnel et ami du philosophe français, a vécu Mai 68 à la fois depuis Paris et depuis Lausanne, vivant entre les deux villes à l'époque.

Mais c'est à La Havane que Michel Contat apprend les premiers événements de Mai 68 à Paris. Il est alors en visite à Cuba chez son ami le photographe vaudois Luc Chessex. 'Je suis tombé sur une brève dans le journal du Parti communiste cubain Granma qui parlait d'échauffourées dans le Quartier latin', raconte l'écrivain, cinéaste et chroniqueur littéraire et musical, né en Suisse en 1938.

A son retour de Cuba, il fait une halte à Paris le 13 mai pour vivre les premières manifestations en direct avant de rentrer à Lausanne. En Suisse romande, 'on a surtout vécu les événements à la radio, sur Europe 1', explique ce passionné de jazz. 'Je suis finalement remonté à Paris le 21 mai, en voiture, car c'était la grève générale et les trains étaient bloqués. Je suis tombé en pleine manifestation sur le Boulevard Saint-Michel'.

'J'ai suivi ça avec passion', dit-il. 'A Paris, il y avait une ambiance extraordinairement chaleureuse, un état de bonheur que je n'avais jamais connu'. Michel Contat se souvient d''une socialité heureuse'. 'Et c'était ça la révolution', résume-t-il.

Des cafés emblématiques

A Lausanne, les lieux emblématiques de Mai 68 où se réunissait la jeunesse contestataire étaient les cafés Barbare, surtout la journée, Lyrique et Chat Noir, le soir, ainsi que la Cinémathèque suisse, lieu très important de réunions de l'intelligentsia contestataire. 'C'étaient comme des laboratoires d'idées'.

Si ni Lausanne ni le canton de Vaud n'ont eu leurs grandes manifestations ou actions retentissantes de Mai 68, c'est notamment, selon lui, en raison de la vieille tradition protestante et radicale du Pays de Vaud. 'C'est un pays où on n'aimait pas les extrêmes et même la jeunesse estudiantine était en majorité assez conformiste', analyse-t-il avec le recul, à 79 ans.

La particularité helvétique de la paix du travail a sans doute aussi joué un rôle pour éviter une grande contagion de Mai 68 en Suisse. 'On était hostile à cette paix du travail, on aurait voulu un réveil de la lutte des classes. Mais on était loin du compte'.

Cela dit, il y a eu 'une queue de la comète de Mai 68 en Suisse aussi', selon M. Contat. 'Les années 70 par exemple ont ensuite connu quelques années de 'militantisme très vif dans les milieux d'extrême gauche'.

L''affaire Contat'

Ce Vaudois naturalisé Français aura cela dit maille à partir avec les autorités du canton après Mai 68. On est en 1971 et c'est devenu l''affaire Contat'. Enseignant au Gymnase du Belvédère à Lausanne, il se fait renvoyer pour d'obscures raisons, a priori politiques.

'A l'époque, ils se méfiaient et écartaient de l'enseignement tous les membres de la Ligue marxiste révolutionnaire (trotskiste). Ma femme en faisait partie mais pas moi', explique-t-il. Le jeune enseignant de français est néanmoins 'puni' et transféré dans une école à la Vallée de Joux pour enseigner... l'allemand.

L''affaire Contat' fait scandale. Des manifestations de soutien sont organisées par les élèves. Les esprits s'échauffent dans le corps enseignant à Lausanne. Au final, cet épisode est sans doute une chance pour l'universitaire gauchiste qui préfère quitter la Suisse, 'où sa carrière est grillée', pour en risquer une à Paris, à 35 ans.

Et c'est un pari gagnant: collaborateur à la revue Les Temps Modernes (1973-1982), chroniqueur littéraire au Monde des Livres, chercheur au CNRS dès 1982, spécialisé dans l'oeuvre de Sartre, dont il devient le secrétaire particulier et ami, et chroniqueur de jazz à Télérama (encore aujourd'hui).

'L'amour était une aventure totale'

'Avec Mai 68, on a vécu la liberté, la liberté concrète, notamment dans les rapports entre les gens, la libération de la parole et des moeurs. Ça c'est resté un modèle. C'est aussi l'idée qu'il y a un autre type de sociabilité possible, moins atomisée, moins individualiste, moins sécuritaire. Cela a été aussi l'avènement du risque', décrypte M. Contat, 50 ans après.

'Cela a été une véritable mobilisation des esprits, avec toute l'importance de la contre-culture, le rock n'roll, les expériences de vie collective'. 'Nous avons vécu une victoire culturelle sur un échec politique en 1968 (...) Je n'ai jamais cru à De Gaulle, pour moi, c'était le vieux monde'.

'Ce qui nous animait, c'était le goût du jazz, musique de l'insurrection, du cinéma, de la littérature et bien sûr aussi nos amours'. 'L'amour était une aventure totale, héritière du surréalisme'. Il cite le couple Sartre-Beauvoir comme 'modèle qui a beaucoup compté', avec cette idée que 'l'amour est une expérience essentielle qui ne peut pas se réduire à un seul être'.

'Je ne renie rien de Mai 68. C'est ce que j'ai vécu de plus intense dans ma vie de citoyen', insiste Michel Contat avant de conclure: 'On vit aujourd'hui encore dans la lumière et dans la chaleur de Mai 68'.

/ATS
 

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