Cause d'invalidité numéro un en Suisse, les lombalgies sont mal prises en charge. Une majorité de patients ne reçoit pas les bons traitements et d'importantes ressources sont gaspillées en examens et médications inutiles, selon une recherche avec participation suisse.
Pire, selon cette revue de la littérature mondiale publiée jeudi dans la revue médicale britannique The Lancet, les pays à ressources faibles ou modérées tendent à adopter les erreurs des pays plus riches.
Cette étude réalisée par 30 experts mondiaux des problèmes de dos provenant de treize pays, dont la Suisse, paraît sous la forme de trois articles distincts. A l'échelle planétaire, les lombalgies touchent 540 millions de personnes.
Le poids global de l’invalidité qui en découle a augmenté de plus de 50% depuis les années 1990. Il va probablement s’accroître encore davantage ces prochaines décennies du fait du vieillissement de la population.
Lacunes en Suisse
En Suisse, les dernières estimations disponibles remontent à plus de quinze ans et étaient déjà de l’ordre de 4 milliards de francs par an pour les frais directs et indirects liés aux lombalgies.
'Il y a de grosses lacunes dans les données disponibles sur ce sujet', a indiqué à l'ats Stéphane Genevay, médecin adjoint responsable de la consultation multidisciplinaire du dos aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), co-auteur de ces travaux.
'L'itinéraire clinique du patient est mal fait, il ne suit pas les recommandations internationales, ce qui peut augmenter le risque d'incapacité chronique invalidante', poursuit le spécialiste.
Rester actif
Selon les chercheurs, la plupart des lombalgies devraient être traitées par les médecins de premier recours, la première ligne de conseil étant de rester actif et d'éviter un arrêt de travail.
Mais c'est loin d'être le cas: une proportion élevée de patients est prise en charge aux urgences, encouragée à se reposer et cesser de travailler, envoyée passer un scanner, voire adressée en chirurgie. Des antidouleurs, y compris opiacés, sont prescrits de manière routinière, alors même qu'ils ne devraient être utilisés qu'avec parcimonie pour les lombalgies.
Le bénéfice de ces traitements 'agressifs' est douteux, écrivent les scientifiques. Les lombalgies touchent principalement des adultes en âge de travailler et sont pour la plupart de courte durée, même si une personne sur trois aura une rechute dans l'année qui suit un premier épisode. Dans 90% à 95% des cas, une cause précise ne peut être identifiée.
'Seules 5% à 10% des lombalgies découlent d'une lésion bien identifiable', note le Dr Genevay. Le reste concerne la 'lombalgie commune' ou idiopathique pour laquelle on est actuellement incapable d’isoler une structure spécifique à l’origine des douleurs.
'Lorsque vous regardez les imageries IRM de sujets sains et de personnes souffrant du dos, vous ne voyez pas de différence', précise-t-il.
L'accent sur le mouvement
Pour Stéphane Genevay, il faut mettre l'accent sur le mouvement éventuellement avec l’aide d’un physiothérapeute, d'un chiropraticien ou d’un ostéopathe et favoriser le retour au travail:
'Les études montrent que plus les gens restent en dehors du monde du travail, plus les choses s'aggravent, plus ils développent de l'anxiété et risquent une incapacité chronique', dit-il.
En outre, 'il y a beaucoup trop d'imagerie, c'est contre-productif', ajoute le médecin, qui relève que'prescrire une imagerie prend une minute, expliquer pourquoi on n'en fait pas prend une demi-heure et n'est plus remboursé'.
Un 'imbroglio'
Sortir de cet 'imbroglio' ne sera pas simple, estime le Dr Genevay. La problématique est complexe, elle inclut des facteurs psychologiques et économiques et touche un grand nombre d'acteurs, patients, assurances, employeurs ainsi que les autorités sanitaires, politiques et de recherche.
Elle est en outre mondiale, les pays à faible ou moyen revenu ayant adopté les pratiques erronées des pays riches. Ainsi, en Afrique du Sud, 90% des patients reçoivent des antidouleurs comme seul traitement et en Inde, rester au lit est fréquemment recommandé. Aux Etats-Unis, 60% des patients se voient prescrire des opiacés.
Dans leurs conclusions, les auteurs appellent les gouvernements et autorités concernées à revoir leurs 'stratégies de remboursement contre-productives' favorisant le statu quo. Le but étant de protéger le public d'approches dommageables et sans fondement scientifique.
/ATS