Le village de Grimentz (VS) dans le Val d'Anniviers séduit les touristes avec ses maisons typiques, fleuries de géraniums. La cave de l'une de ces maisons emblématiques recèle un véritable trésor fromager.
Dès l'entrée, l'odeur de fromage domine. Ils sont 72, alignés verticalement sur des étagères de bois comme des disques dans un juke-box. Rien de très étonnant dans une cave valaisanne, si ce n'est leur âge. Les deux plus anciens exemplaires ont été confectionnés en 1875 sur un alpage du village aujourd'hui englouti par les eaux du barrage de Moiry.
Oubli originel
A 142 ans, ces deux meules sont de véritables reliques. 'Elles ont tout vécu', dit Jean-Jacques Zufferey, chef de l'office de l'économie animale à l'Etat du Valais, dépositaire de ce trésor avec sa mère, son frère et sa soeur.
Et survécu à tout ou presque, aux acariens, aux rongeurs, à la canicule. Sans perdre leur silhouette originale, malgré quelques rides en surface. Jean-Jacques Zufferey ne doute pas qu'ils comptent parmi les plus vieux fromages au monde, dans leur état d'origine.
Au début de leur histoire, rien ne prédestinait ces meules à devenir des pièces de collection. La grand-mère les avait reçues en cadeau d'un oncle fromager à l'alpage. Pourquoi n'ont-ils jamais été consommés? Le mystère reste entier. 'Peut-être ont-ils été simplement oubliés à la cave', avance M. Zufferey.
Pièces uniques
Toujours est-il que Jules, le père de Jean-Jacques, tombe dans sa jeunesse sur ces deux pièces. Et il décide de compléter cet embryon de collection. 'Mon père avait un sens aigu du patrimoine, ça vient peut-être de là', raconte Jean-Jacques Zufferey. Un premier fromage est ajouté. Il date de 1944. Suivront de nombreux autres.
La famille a toujours possédé du bétail, encore aujourd'hui. Jules, policier et paysan, a fabriqué des fromages pour diverses occasions comme des naissances ou des mariages, laissant alors une pièce pour sa collection. Jean-Jacques y a également contribué en confectionnant quelques meules après le décès de son père.
Appréciés des souris
'Ce ne sont pas des fromages à raclette', explique M. Zufferey: le lait est davantage chauffé. Les fromages sont ainsi plus durs, ce qui explique peut-être leur longévité.
Personne n'y goûte, mais il ne fait aucun doute qu'ils sont encore consommables. Les souris ne s'y sont pas trompées: malgré les précautions prises, elles sont parvenues à grignoter plusieurs meules en 2014, dont une des deux plus vieilles.
Cet assaut a incité M. Zufferey à prélever une petite partie du fromage de 142 ans, qu'il a envoyée à l'Agroscope de Liebefeld (BE), spécialisé dans les produits laitiers, pour des analyses. Elles n'ont pas permis de déceler des bactéries qui auraient par exemple pu être inoculées à une culture lactique actuelle. Mais les scientifiques continuent à séquencer l'ADN. 'On ne sait pas ce qui peut en sortir', précise M. Zufferey.
Pérenniser le patrimoine
Il se plaît pourtant à parler de 'fromages vivants' lorsqu'il évoque les meules de cette collection. Si, à l'oeil, certaines rappellent davantage une rondelle de vieux bois, au toucher la surface est un peu grasse. Leur texture devrait être assez similaire à celle de vieux parmesans, estime M. Zufferey.
Mais ces fromages ne se mangent pas. 'Même si peut-être certains excentriques fortunés seraient prêts à y mettre le prix', dit M. Zufferey. La collection revêt d'abord une valeur patrimoniale, bien qu'elle soit inestimable.
Pour autant, cette collection insolite n'a pas encore trouvé sa voie. Jean-Jacques Zufferey est ouvert à toute proposition pour pérenniser ce patrimoine hors du commun et le rendre visible. Mais ce n'est pas chose aisée, car les fromages sont sensibles: hygrométrie, température et luminosité doivent demeurer constantes.
/ATS