Des violations équivalentes à des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre ont été perpétrées au Tigré, selon l'investigation de l'ONU et de la Commission éthiopienne des droits de l'homme. Toutes les parties sont responsables d'abus, dit son rapport.
Les violences vont d'exécutions extrajudiciaires, surtout d'hommes, à de la torture en passant par des déplacements forcés ou des abus sexuels. Le rapport publié mercredi à Genève porte sur la période de novembre 2020 à fin juin dernier. Soit du début des affrontements entre les forces éthiopiennes et érythréennes, d'un côté, et les séparatistes du Tigré, dans le nord du pays, de l'autre, jusqu'au cessez-le-feu unilatéral décidé par le gouvernement.
Les armées éthiopiennes et érythréennes sont responsables 'd'un grand nombre' des violations mais les forces tigréennes sont aussi en cause, a dit à la presse la Haute commissaire de l'ONU aux droits de l'homme Michelle Bachelet. Dans une déclaration publiée mercredi, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed affirme, malgré des réserves, accepter le rapport et lancer une cellule interministérielle pour appliquer ses recommandations.
De novembre à juin, les deux camps ont notamment visé de manière indiscriminée les civils et ont mené des arrestations et détentions arbitraires, des enlèvements ou encore des pillages. Dès le premier mois du conflit, de jeunes Tigréens ont exécuté environ 200 Amhara en deux jours et les forces érythréennes ont tué le 28 novembre de la même manière 100 personnes.
Celles-ci ont aussi poussé environ 600 hommes à défiler nus dans la rue sous la menace d'armes quelques mois plus tard. Ou encore ont violé collectivement une femme devant sa fille de 3 ans.
'Extrême brutalité'
En revanche, un tribunal devra établir si les violences ethniques observées peuvent être considérées comme un génocide ou non, a ajouté Mme Bachelet, alors que M. Abiy dénonce de fausses allégations. Si l'investigation n'établit pas des responsabilités individuelles, ses indications sont suffisantes pour être 'utilisées' par des institutions judiciaires.
Le rapport ne constitue pas une indication 'exhaustive' des crimes perpétrés et 'nous n'avons pas été sous pression du gouvernement', ajoute Mme Bachelet. Les séparatistes tigréens ne reconnaissent eux pas la Commission éthiopienne et ont refusé de voir les responsables des investigations.
Les enquêteurs se sont rendus dans de nombreuses zones du Tigré. Ils ont mené 269 dialogues avec des victimes ou des témoins de violations des droits humains et des dizaines de réunions avec des représentants des autorités, de la société civile ou du personnel médical. Ils ont été confrontés à des défis sécuritaires, notamment des intimidations de la part de forces régionales, mais aussi opérationnels et administratifs.
Dénonçant une 'extrême brutalité', Mme Bachelet affirme qu'il est urgent que les parties entendent 'les appels répétés à un cessez-le-feu'. Elle demande que les responsables des violences soient poursuivis et que d'autres investigations soient menées dans les zones où l'accès n'a pas été garanti.
De son côté, le chef de la Commission éthiopienne Daniel Bekele a ajouté que son entité continuait encore de suivre la situation depuis fin juin. Les violences se poursuivent actuellement et les Tigréens avancent vers le Sud.
Possible mécanisme international
Les autorités ont déclaré l'état d'urgence, une situation 'très inquiétante' selon Mme Bachelet. Alors même que les violations comme les bombardements indiscriminés ou les exécutions sommaires ont continué depuis juin.
Le rapport appelle le gouvernement à garantir des investigations rapides et indépendantes pour aboutir à des poursuites. Mme Bachelet doute de la conformité aux standards internationaux de celle établie par Addis Abeba.
Les autorités érythréennes devraient elles se pencher sur l'attitude de leurs soldats. Si les pays en cause ne sont pas capables de poursuivre les responsables, un mécanisme international de préservation des preuves, comme ceux sur la Syrie ou la Birmanie, pourrait être lancé ou la Cour pénale internationale (CPI) pourrait se charger de cette affaire, selon le rapport.
Autre problème, un collaborateur du Haut-Commissariat avait été expulsé récemment. Aucune raison claire n'a été donnée, dit Mme Bachelet. Mais les autorités ont laissé entendre que la situation 'ne sera pas rétablie' et que cette personne devra rester en dehors du territoire éthiopien, ajoute-t-elle.
La situation humanitaire reste très difficile. Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées ou sont réfugiées. Et quelque 400'000 sont confrontées à des conditions proches de la famine, selon l'ONU.
/ATS