Plus de 10'000 manifestants pro-démocratie bravaient samedi, pour la 3e journée consécutive, l'interdiction de rassemblement à Bangkok, sur fond de tensions croissantes avec la police qui a utilisé la veille pour la première fois des canons à eau.
Samedi, toutes les lignes de métro -aérien et souterrain - de la capitale thaïlandaise ont été fermées, obligeant les militants à se réunir sur trois sites hors du centre-ville.
Des milliers de personnes, des jeunes pour la plupart, étaient rassemblées sur une grande intersection dans le nord de la mégalopole. 'Prayut va te faire foutre!', scandaient-ils, en levant trois doigts, un geste de résistance emprunté au film 'Hunger Games'.
'Je m'inquiète pour ma sécurité. Mais si je ne manifeste pas, je n'aurai pas d'avenir', a expliqué une étudiante en école de commerce, Min, 18 ans, qui a apporté casque et masque à gaz pour se protéger d'une éventuelle charge des forces de l'ordre.
De l'autre côté de la rivière Chao Phraya, plus de 2000 protestataires criaient 'Vive le peuple, à bas la dictature!'.
Enfin, dans le sud-est de la ville, quelque 5000 manifestants bloquaient la circulation, arborant des panneaux: 'Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes partout'.
'Soyez prêts physiquement et mentalement à une éventuelle répression', avaient averti un peu plus tôt les organisateurs.
La monarchie, un sujet tabou
Le mouvement réclame la démission du Premier ministre, Prayut Chan-O-Cha, et ose demander une réforme de la puissante et richissime monarchie, un sujet tabou dans le pays il y a encore quelques mois.
Le roi Maha Vajiralongkorn n'a pas directement commenté les événements en cours, mais déclaré à la télévision publique que la Thaïlande a 'besoin d'un peuple qui aime son pays, d'un peuple qui aime l'institution' que représente la monarchie.
La situation suscite un fort engouement international: samedi soir le hashtag #mobOctober17 était numéro un sur Twitter.
Jeudi et vendredi, plusieurs milliers de personnes s'étaient déjà réunies dans le centre de la capitale, malgré la promulgation d'un décret d'urgence interdisant tout rassemblement de plus de quatre personnes.
Des dizaines de personnes ont été interpellées ces quatre derniers jours, dont neuf leaders du mouvement pro-démocratie. Certains ont été libérés sous caution, d'autres comme Anon Numpa, particulièrement virulent envers la royauté, ont été emprisonnés dans le nord du pays.
'Arrestations arbitraires'
Le parti d'opposition Pheu Thai a appelé le gouvernement à lever immédiatement les mesures d'urgence et à libérer les personnes détenues.
Le décret promulgué est 'un feu vert' donné aux autorités 'pour violer des droits fondamentaux et opérer des arrestations arbitraires en toute impunité', a condamné l'ONG Human Rights Watch, appelant la communauté internationale à réagir.
'Ne violez pas la loi, (...) je ne démissionnerai pas', a mis en garde vendredi le général Prayut Chan-O-Cha, ajoutant que les mesures d'urgence seraient appliquées pendant une période maximale de 30 jours.
Un couvre-feu n'est pas exclu dans la capitale si la situation devait perdurer.
Le militaire est au pouvoir depuis qu'il a renversé, par un coup d'Etat en 2014, Yingluck Shinawatra, soeur de l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra.
'Des centaines de milliers de personnes demandent aujourd'hui des changements', a relevé cette dernière sur Twitter, exhortant Prayut Chan-O-Cha à tout faire pour 'restaurer la paix' dans le royaume.
Ce dernier dirige un gouvernement civil depuis des élections controversées l'année dernière.
Crise économique
Aux tensions politiques s'ajoute une grave crise économique. Tributaire du tourisme et verrouillée depuis la pandémie de coronavirus, la Thaïlande est en pleine récession avec des millions de personnes sans emploi.
Les autorités ont motivé la promulgation des mesures d'urgence en dénonçant notamment des incidents mercredi à l'encontre d'un cortège royal.
Plusieurs dizaines de manifestants, en marge d'un grand rassemblement pro-démocratie, avaient levé trois doigts devant le véhicule de la reine Suthida, en signe de défi.
Deux activistes ont été interpellés et mis en examen pour 'violence envers la reine', une accusation rarissime, passible de la prison à vie.
La Thaïlande est habituée aux violences politiques, avec 12 coups d'Etat depuis l'abolition de la monarchie absolue en 1932.
Vu la situation et le durcissement des positions, 'la probabilité d'une autre prise de contrôle du pays par les militaires est envisageable', selon Thitinan Pongsudhirak, politologue à l'université Chulalongkorn de Bangkok.
/ATS