Le Kunsthaus de Zurich propose dès vendredi une immersion totale dans l'univers organique et sensuel de Pipilotti Rist. La vidéaste suisse la plus célèbre dans le monde y plonge l'observateur dans le rôle d'acteur d'une installation géante reflétant son quotidien.
'Heim' ('à la maison'): tel est le titre du principal espace de cette rétrospective intimiste, ironique et accessible rendant hommage à l'âme et au corps de l'être humain. Un salon, une chambre à coucher et un bureau mis en scène par l'artiste y invitent à s'attarder, dans un canapé, un fauteuil ou sur un lit sur les projections de vidéos anciennes et nouvelles de Pipilotti.
Les images sont projetées autant sur des objets que sur le visiteur assis ou couché. Ce dernier regarde et se regarde, réfléchissant dans tous les sens du terme, en se laissant bercer par la fameuse version pipilottienne de 'Wicked Game', de Chris Isaak.
Ici un miroir offrant des baisers ('Little Make-Up Table with Feedback', 1993), là un lustre composé de slips ('Cape Cod Chandelier', 2011). Un caisson ouvert renferme une chambre à coucher en modèle réduit, envahie par une lune. Les rêves y sont projetés sur les murs (Deine Raumkapsel, 2006). Cette 'capsule spatiale' met en scène les trois minutes qui séparent le sommeil de l'état d'éveil.
Consumérisme et digestion
Les titres de la plupart des 41 oeuvres présentées sur 1000 m2 sont truffés de jeux de mots et de mises en abyme dont l'artiste a le secret. C'est le cas de 'Fern- und Nachsehen' ('regarder la télévision et vérifier', mais aussi 'regarder loin et se retrouver perdant'), une installation conçue en ce début d'année, placée dans la 'salle de travail'.
Des images y sont diffusées sur des téléviseurs anciens ou récents dont les écrans sont recouverts d'emballages translucides en polycarbonate. 'Nous regardons nos écrans, mais ne percevons plus la matière dans laquelle est fabriqué leur boîtier. C'est typiquement le cas de nos smartphones, par exemple', a expliqué jeudi Pipilotti Rist aux journalistes lors d'une visite réservée aux médias.
Cette vision critique de la consommation et de ses conséquences, l'artiste la placarde avant même l'entrée dans la salle d'exposition. La verrière y est recouverte d'emballages en plastique transparent ('Collection innocente'). 'Je les collectionne depuis une trentaine d'années. C'est ma façon de me remettre et de me purifier de mon propre consumérisme', confie Pipilotti.
Dans l'antichambre obscure, le visiteur se retrouve au milieu des toiles amovibles sur lesquelles sont projetés des moutons broutant de l'herbe ('Administrated Eternity', 2011). Il marche ensuite sur une projection d'image au sol et s'y voit avalé par une Pipilotti qui le rejette littéralement après l'avoir digéré. Un clin d'oeil espiègle qui confronte l'humain à sa simple nature (Mutaflor, 1996).
Se prélasser à l'orée de la forêt de pixels
La visite se poursuit dans un couloir flanqué d'écrans diffusant sept classiques de l'artiste. De l'autre côté de l'espace central dévolu au 'foyer', on accède à une 'forêt de pixels' ('Pixelwald', 2016), réalisée spécialement pour le Kunsthaus. Quelque 3000 luminaires LED, fixés à des câbles lianes, y brillent d'une intensité variable, formant un 'écran explosé dans l'espace', selon les termes de l'artiste st-galloise âgée de 53 ans.
Derrière la forêt, les visiteurs peuvent se prélasser sur des coussins étendus sur une pelouse fictive. Devant eux, des vidéos sont projetées sur un écran géant ondulé remplissant toute la largeur de la pièce. Y figurent des oeuvres des années 1990, mais aussi 'Worry Will Vanish Horizon' (2014).
L'exposition est ouverte jusqu'au 8 mai est aussi accompagnée d'installations extérieures. Parmi elles, des projections sur les façades du musée, visibles dans l'obscurité. Une appli interactive avec audioguide et un catalogue original encadrent la visite.
/ATS