Jamais peut-être un livre n'aura autant mérité le qualificatif de 'pavé'. Pesant plus de six kilos, 'Les archives de Charlie Chaplin' est sans doute l'ouvrage le plus exhaustif jamais écrit sur l'un des plus grands artistes du XXe siècle.
Ce gros volume en anglais (les textes sont traduits en français dans un livret à part de 82 pages) est publié par les éditions Taschen sous la direction de Paul Duncan, le grand historien britannique de l'histoire du cinéma. On lui doit déjà des sommes sur Ingmar Bergman et Pedro Almodovar.
Le livre de 560 pages, illustré de plus de 900 photos d'une qualité d'impression exceptionnelle, suit pas à pas la vie et l'oeuvre du cinéaste. On commence avec son enfance misérable à Londres, on poursuit avec ses premières prestations dans des music-halls britanniques, puis américains.
On regarde, éblouis, ses premiers courts-métrages, on assiste à sa consécration, on est atterré par son rejet dans une Amérique obsédée par 'la chasse aux Rouges' et on observe, impuissant, le désastre de 'La comtesse de Hong Kong', son dernier film, en 1967. 'Le principe de ce livre est simple: montrer comment Chaplin a fait ses films', explique Paul Duncan dans son introduction.
L'historien et son équipe ont écumé les archives de Chaplin. Le livre, qui a le format d'une petite valise, regorge de photos inédites de tournages, de documents rares, d'entretiens. On trouve également des scripts de films jamais réalisés, dont un projet sur Napoléon. Une plongée au coeur de la création artistique.
'Les gags fusaient'
Le personnage de Charlot naît par hasard. En contrat chez Keystone, en décembre 1913, Chaplin a l'idée saugrenue d'enfiler le pantalon de l'acteur Roscoe Arbuckle, connu pour son rôle de Fatty (le gros). Il prend la veste trop petite d'un autre acteur, se coiffe d'un chapeau melon trouvé dans la loge et chausse des souliers trop grands pour lui.
'Je voulais que tout se contredise: le pantalon trop grand, le manteau serré, le petit chapeau et les grandes chaussures', raconte Chaplin. 'Je n'avais aucune idée du personnage', ajoute-t-il.
'Mais dès que j'ai été habillé, les vêtements et le maquillage m'ont fait entrer dans cet individu. J'ai commencé à faire connaissance avec lui et, au moment où je suis entré en scène, il était bel et bien né (...) Les gags et les idées comiques fusaient dans ma tête', poursuit-il. Avec le personnage de Charlot, Charlie Chaplin devient immédiatement célèbre et riche, très riche.
Actrice poussée à bout
Cette célébrité et cette richesse vont lui permettre de réaliser les films qu'il souhaite. C'est un maniaque de la perfection. Dans 'La ruée vers l'or', l'actrice Georgia Hale doit donner une gifle à son partenaire Malcolm Waite. Chaplin n'est pas satisfait. Il fait rejouer la scène 35 fois.
'Poussée à bout, j'ai fini par donner une grande claque à Malcolm. J'étais tellement furieuse que j'ai respiré à fond et l'air m'est ressorti par les narines! C'est ça que Charlie voulait vraiment, que je sorte de mes gonds', raconte l'actrice.
Brando mord Loren
Tous les films de Chaplin sont analysés un à un. Il fête ses 78 ans durant le tournage de 'La comtesse de Hong Kong'. Marlon Brando a accepté de jouer dans le film sans lire le scénario. C'est une catastrophe.
L'acteur et le metteur en scène ne s'entendent pas. Marlon Brando se montre un parfait goujat avec sa partenaire, l'actrice italienne Sophia Loren. Une scène de baiser est prévue. 'Regardez-vous dans les yeux, mettez-y de la conviction', demande Chaplin.
La première prise est un échec. 'Savez-vous ce que (Brando) m'a murmuré... que j'avais des poils qui sortaient du nez', s'indigne l'actrice. A la troisième prise, Brando mord la comédienne. 'Il m'a mordu la lèvre. Regardez, ça saigne', s'offusque l'actrice.
Le magazine Time se montre particulièrement cruel. 'C'est sans doute le meilleur film qu'ait jamais fait un réalisateur de 77 ans. Malheureusement, c'est aussi le plus mauvais film qu'ait fait Chaplin'.
/ATS